Le titre de cette exposition dossier rend hommage à l'écrivain Jun'ichirô Tanizaki, auteur de l'éloge de l'ombre (publié en 1933), essai à travers lequel il défend une certaine idée de l'esthétique japonaise, qui donne une importance considérable à la pénombre, au clair-obscur et à la patine des choses.
Dans les photographies conservées au musée, l'ombre joue sa partition aussi fort que la lumière. Elle anime les surfaces, organise l'espace, donne profondeur et mystère aux images. Elle n'est pas une absence de lumière, mais une matière. Les textures sont travaillées à l'extrême, jusqu'à ce que les grains de peau ou les surfaces du paysage se confondent avec le grain photographique. Des éléments « parasites » que l'on aurait tendance à vouloir faire disparaître – vitres, tâches, gouttes d'eau, rideaux – deviennent le sujet même de la photo.
Ces notions se déclinent à travers plusieurs sujets : chezEiichiro Sakata, ancien assistant de Richard Avedon, les portraits d'artistes se réduisent parfois à l'évocation de formes mouvantes ; chez Kishin Shinoyama, les corps se dédoublent, s'effleurent, se confondent avec le paysage ou deviennent paysage ; chez Keiichi Tahara et Senji Taniuchi, les séries Fenêtres et Reflections respirent le « Ma » (間), ce concept purement japonais, qui fusionne les notions de temps et d'espace, ce « vide » qui sépare autant qu'il relie toutes choses.
Cet accrochage révèle aussi la place importante que tient la photographie nippone dès les origines de la collection photographique du musée. C'est le photographe arlésien Lucien Clergue, co-fondateur avec le conservateur Jean-Maurice Rouquette de la Section d'Art Photographique du musée Réattu en 1965, qui est le premier à créer ce lien avec le Japon. Il sollicite dès le début de la collection Yasuhiro Ishimoto pour donner des tirages, car il le connaissait pour avoir participé avec lui à l'exposition "Diogene with camera V", organisée par Edward Steichen, en 1961, au Museum of Modern Art de New York. Ces dons n'auront pas lieu, mais Ishimoto comptera plus tard parmi les premiers fidèles du festival des Rencontres, créé en 1970. Cette manifestation deviendra rapidement un terrain de jeu privilégié pour les photographes japonais, qui y ont l'occasion de côtoyer les grandes figures de la photographie européenne et américaine, mais surtout de diffuser leur regard singulier sur le médium. Ils mèneront aussi des stages de pratique, comme Eikoh Hosoe, dont les séances de nu dans la commanderie de Sainte-Luce constituent un des moments les plus marquants des fameux « workshops » des Rencontres.
Cette exposition-dossier fait écho au « Mois du Japon » initié par la Médiathèque d'Arles autour de la culture japonaise, qui offre cet automne un riche programme de conférences, de rencontres, d'ateliers et de projections, ainsi qu'une exposition de photographies du Japon datant du XIXe siècle conservées dans son fonds patrimonial.